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Culture - Social

 

Eduquer Créer

CREER, EDUQUER, DEUX VERBES A INTERROGER SIMULTANEMENT

 

De quel droit une compagnie de théâtre vient t-elle questionner notre profession ?
Quelle peut être la légitimité d’artiste à faire intrusion au cœur de notre environnement pour prendre notre parole et en faire œuvre ?
Nous ne cherchons  pas à faire ici un procès d’intention,  nous présupposons, peut être à tort que ces réactions, seraient légitimes, dans la mesure ou chacun appréhende l’autre, l’inconnu, par le prisme de ses poncifs. On a une idée du théâtre comme on a une idée du social, ce ne sont plus des idées reçues, se sont des idées acquises. Au fil du temps on ne s’interroge plus,  nos questions d’autrefois sont devenues aujourd’hui des réponses définitives. Dans ce « On ne s’interroge plus » nous englobons les professionnels du social et les professionnels du spectacle vivant dont nous faisons fais partie

Interroger la place de l’homme dans la société de façon politique, c’est à dire en se demandant comment chaque individu peut être, ou peut devenir, un élément constitutif du vivre ensemble, c’est la problématique fondatrice sur laquelle nous pourrons nous appuyer pour mettre en place une conjugaison Culture /Social qui nous permettra d’inscrire nos professions dans la réalité temporelle du  ici et maintenant

 

LE QUESTIONNEMENT SOCIAL AU CŒUR DU PROPOS ARTISTIQUE

Le créateur ne soigne pas un public malade, le créateur donne à voir, il fait de la lézarde, de la faille sociale ou individuelle, un miroir démasquant qui met le spectateur face à une réalité. Le seul objectif d’une création, c’est de solliciter une émotion, parce qu’émouvoir c’est aujourd’hui  un acte politique qui permet une réappropriation de soi, première étape pour aller vers une autonomie de pensée qui permettra, du moins je l’espère, à chaque spectateur d’être acteur de sa vie, donc de fait acteur de la société dans laquelle il vit, qui permettra à chacun d’être un citoyen responsable. Le travailleur social, à mon sens, ne soigne pas son public, il l’accompagne afin que celui-ci puisse malgré ses failles, ses lézardes, accéder à l’autonomie qui lui permettra d’être un acteur citoyen de la société dans laquelle il vit. L’acteur s’inscrit dans l’espace fictionnel, l’éducateur s’inscrit lui dans un espace d’ultra réalité, celui de la souffrance, du quotidien. Comment se peut-il alors que ses deux professionnels se retrouvent dans une communauté d’objectifs ?
Non, nous ne faisons pas le même métier, néanmoins nous vivons dans la même société mais surtout nous observons ses évolutions par le même prisme, celui de ses disfonctionnements

Le fait que nous ayons les mêmes objectifs confirme un disfonctionnement fondamental de notre société, celui de l’inversion des espaces. Je pense en effet qu’aujourd’hui l’espace de fiction, c’est l’espace social, pour exister socialement, il faut jouer son rôle, le rôle fait loi. Plus encore que le rôle, le costume de la fonction ou celui de la non fonction fait loi, le costume est l’identité. Fini le savoir être, nous sommes rentrés dans l’ère du savoir paraître . Accepter ce postulat c’est réinterroger le théâtre, le travail social, dans leurs fondamentaux, tout simplement parce que ce postulat réinterroge la notion de rôle

Dans la Grèce antique la skêné,  aujourd’hui la scène, c’était derrière le rideau l’espace où on enlevait les masques. Cette fin de Ve République, nous impose de réinvestir nos fondamentaux. Refaisons du plateau de théâtre, le voile qui nous protège en nous proposant l’alibi du « Jeu », pour nous permettre d’exprimer le « Je ». La scène un espace de réalité, dissidence au cœur d’une société fictionnelle. Mettre la parole au cœur du propos, l’homme au centre de notre réflexion, revenir à soi pour imaginer à nouveau, pour rêver demain

Nous ne pouvons poursuivre ce questionnement seul, sans interpeller les professionnels du social au cœur de leurs pratiques. En effet, remettre en marche l’imaginaire dans une société où l’objectif « c’est de pouvoir acheter le costume qui me permettra d’exister », nous oblige à questionner un autre verbe que le verbe « Créer », ce postulat nous oblige à questionner simultanément le verbe « Eduquer ». Peut t-on encore fonder une démarche éducative en partant exclusivement de l’envie des publics ?

Réinterroger nos pratiques respectives dans un travail commun, n’est ce pas finalement poser la question du sens, n’est ce pas finalement ouvrir ensemble le champ des possibles pour que chaque individu, en élargissant son champ de vision, se donne le droit d’avoir le choix. Ne devons nous pas alors en finir avec la sacro sainte hégémonie de l’envie ? Peut t-on avoir envie de ce qu’on ne connaît pas ? Mettre chacun face à la notion de choix, c’est l’obliger à acter, c’est lui permettre de redevenir un acteur citoyen ou un spectateur actif

Voilà pourquoi, nous croyons à cette conjugaison Culture/Social
Voilà pourquoi, nous  pensons qu’il n’y a qu’ensemble que nous pouvons créer un Théâtre d’Art Social
Ainsi, en conjuguant nos compétences au futur, c'est-à-dire en associant éducation et création, nous ouvrirons une perspective optimiste

La suprême sagesse de ce temps consiste peut-être à penser en pessimiste, car la nature des choses est cruelle et triste, et à agir en optimiste, car l’invention humaine est efficace pour le mieux être moral et social (Benoît Malon 1892)


Elie Briceno
Auteur et metteur en scène

Isabel B.
Comédienne, metteur en scène, scènographe
Compagnie Artizans

 

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